Ben Barka porté disparu depuis 51 ans

Nadir Djennad, BBC Afrique, Paris

Une plaque commémorative de l'enlèvement de Mehdi Ben Barka

Crédit photo, Nadir Djennad

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Une plaque commémorative de l'enlèvement de Mehdi Ben Barka

Le 29 octobre 1965, l'opposant marocain et icône du mouvement tiers-mondiste Mehdi Ben Barka a été enlevé à Paris. Sa famille réclame toujours la vérité sur son enlèvement.

BBC Afrique a rencontré à Belfort dans l'Est de la France son fils Bachir Ben Barka, qui avait 15 ans au moment de sa disparition. Il dit que c'est dès l'âge de huit ans qu'il avait remarqué que son père était un homme important.

"Ce qui me frappait surtout, c'était le respect que toutes les personnes que l'on rencontrait avaient envers lui, mais aussi toute la simplicité des rapports qu'il avait avec eux. C'était lui l'initiateur, c'était lui qui donnait les conseils (…) J'ai ressenti cela à l'âge de sept ou huit ans", se rappelle le fils de l'opposant marocain.

Selon l'avocat de la famille Ben Barka, Maurice Buttin, l'enquête a établi très vite que l'enlèvement survenu près de la Brasserie Lipp a été planifié par les services secrets marocains, avec la complicité de policiers, d'agents des services et de truands français.

Pour Maurice Buttin, l'ordre d'enlever Mehdi Ben Barka a été donné par le roi Hassan II aujourd'hui décédé, car l'opposant représentait une menace pour son pouvoir. Le mystère reste entier sur ce qu'il est advenu de l'opposant marocain, probablement tué, et de son cadavre. Pour sa famille, la seule manière de relancer l'enquête est de déclassifier l'ensemble des documents gardés secrets jusqu'à présent, aussi bien en France qu'au Maroc.

Mais il y a des résistances à cette proposition, en France comme au Maroc. "Nous avons incontestablement avancé sur un certain nombre de points concernant l'enlèvement, s'agissant des responsabilités", déclare Maurice Buttin. "Nous ne pouvons pas aller jusqu'au bout pour la bonne raison que le Maroc refuse d'exécuter les commissions rogatoires qui lui sont adressées depuis 10 ans. En plus, il n'y a aucune pression du gouvernement français sur le gouvernement marocain pour chercher la vérité", ajoute-t-il.

Avec d'autres militants, Mehdi Ben Barka avait créé en 1961 l'Association des Marocains en France qui aide les immigrés d'origine marocaine à mener leurs démarches administratives. Pour beaucoup de Marocains, Mehdi Ben Barka représentait l'espoir d'une vie meilleure.

Il n'était pas seulement l'un des principaux opposants au roi Hassan II, mais aussi le chef de file du mouvement tiers-mondiste et panafricaniste.

Kader Abderahim, directeur de recherches à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste du Maghreb, rappelle que "Ben Barka avait été l'un des fondateurs de ce qu'on avait appelé la Tricontinentale, une organisation chargée de rassembler toute l'opposition, à travers les trois grands continents qu'étaient l'Amérique Latine, l'Afrique et l'Asie, pour tenter de promouvoir la démocratie".

"Dans son pays, le Maroc, il jouait un rôle éminent en tant que personnalité de premier plan. Il est devenu le leader de l'opposition marocaine. Il s'inscrit dans la veine de Lumumba et des grands leaders panafricains", explique M. Abderahim.

De nos jours, au Maroc, plusieurs partis politiques de gauche revendiquent l'héritage politique de Mehdi Ben Barka. C'est le cas du Parti de l'avant-garde démocratique socialiste (PADS), qui s'est prononcé, lors des dernières élections législatives, le 7 octobre, en faveur de l'une des revendications de Mehdi Ben Barka : une nouvelle Constitution.

Abdelaq Kass, représentant en France du PADS, confirme que sa formation continue sur la même lancée, c'est-à-dire la lutte pour "une véritable Constitution". "Le problème essentiel qu'a connu Mehdi Ben Barka, juste après l'indépendance, c'est la Constitution, car il y avait une sorte de coup d'Etat du palais sur le mouvement national", rappelle M. Kass.

Depuis 51 ans, la famille et les amis de Mehdi Ben Barka se réunissent devant la Brasserie Lipp, à Paris, le 29 octobre de chaque année, pour réclamer la vérité et la justice sur l'enlèvement et la disparition de l'opposant marocain. Les autorités marocaines et françaises restent toujours silencieuses sur ce drame.